Témoignage David

Octobre, j’ai 45 ans et cet après-midi je rencontre la responsable du programme de lutte contre les violences conjugales.

J’ai pris ce rendez-vous il y a 10 jours et depuis, je n’arrête pas d’y penser. Que vais-je bien pouvoir lui raconter.

Moi-même, je travaille dans un milieu très féminin. Je suis à l’aise avec les femmes dont j’apprécie la compagnie. J’aime beaucoup ma femme et mes enfants et pourtant je suis là assis dans cette salle d’attente à me demander ce que je fais là. Mais au fond de moi, je sais bien que c’est peut-être ma dernière chance.

C’est vrai que je suis un peu colérique, mais je n’ai jamais levé la main sur mon épouse, alors me retrouver dans un programme de groupe avec des « types » qui cognent leur femme, ce n’est pas pour moi, je n’ai rien de commun avec eux.

Avec ma femme on a bien quelques problèmes de couple, mais après 15 ans de mariage ça peut se comprendre. D’ailleurs nous avons consulté ensemble, il y a deux ans, un conseiller conjugal pour nous aider. Et je dois dire que je m’en suis plutôt bien sorti. Je ne suis pas le monstre qu’elle décrit. Le problème vient sûrement aussi d’elle. Disons que ça m’arrange un peu.

Et pourtant aujourd’hui, j’ai décidé de rentrer dans ce programme. L’accueil, l’écoute, l’absence de jugement ont fait basculer l’entretien. Rendez-vous est pris tous les mardis de 17h00 à 19h00. Un 5 à 7 un peu particulier, mais où les émotions seront bien présentes. Je commence dans trois semaines. Par chance une place se libère. Ma femme verra que je fais des efforts.

Lors des premières séances de cette thérapie de groupe, j’écoute les histoires de vie de ces hommes. Ce que j’entends me sidère. Comment peut-on être aussi violent.

J’observe le travail des professionnels et je suis impressionné par leur délicatesse. Capable de mettre des mots sur des maux. Mais surtout capable de tenir un groupe d’hommes violents sans qu’il y ait de dérapage.

Et puis vient mon tour d’expliquer ce que j’ai fait. Pas simple. Mais la force du groupe c’est ça, entendre ces personnes se dévoiler, se mettre à nu force le respect et je me dois d’être honnête avec eux mais surtout envers moi-même.

Alors c’est vrai que je n’ai jamais frappé ma femme, mais elle a les mêmes symptômes que leur épouse. La peur, la souffrance, la perte de l’estime de soi font partie de leur quotidien. Une vraie descente aux enfers et pourtant elles sont toujours là.

Au fur et à mesure des séances, je réalise que j’ai beaucoup de choses en commun avec ces hommes et que j’ai toute ma place dans ce programme. Je ne les vois plus comme des brutes, mais je nous vois davantage comme des victimes de nos pulsions, de nos émotions.

La violence psychologique ne se voit pas avec des bleus ou des fractures. Elle est plus insidieuse mais toute aussi dévastatrice pour celles qui la subissent.

Et mes enfants dans tout ça. Deux filles magnifiques que j’aime plus que tout. Aujourd’hui encore je ressens leurs angoisses du passé. « Papa je t’en supplie ne t’énerve pas » cette phrase raisonne dans ma tête à m’en faire mal. La cellule familiale devrait être un sanctuaire où les personnes qu’on aime se sentent en sécurité pour se développer, se construire et la récompense c’est le plaisir d’être ensemble, d’avoir cette relation privilégiée avec ces êtres uniques.

Et moi au lieu de les protéger, je suis celui qui leur fait peur, les fait souffrir.

Aujourd’hui encore j’en paye le prix, puisque leurs cicatrices sont encore vives alors même qu’il n’y a plus de violence à la maison. La cicatrisation s’inscrit dans un temps long et j’espère avoir assez de temps pour réparer ce que j’ai fait.

Cette prise de conscience est le seul chemin pour arrêter les violences. Apprendre à gérer ses émotions, apprivoiser notre sensibilité, c’est finalement se libérer de soi. Je n’ai rien perdu en virilité, mais j’ai gagné en « féminité » cette partie de nous qui nous fait tant peur nous les hommes.

Malheureusement je n’ai pas pu sauver mon mariage, les blessures étaient trop profondes. Trop de rancœur accumulée depuis trop longtemps, même s’il reste de l’affection entre nous.

En revanche nous avons divorcé comme peu de gens l’on fait, sans haine, sans avocat, sans frais exorbitants. Une sortie élégante où chacun a pris soin de l’autre. Aujourd’hui nos vies se croisent parfois, nos enfants vont bien.

Nous avons trouvé une paix mentale, émotionnelle, une vraie force pour se reconstruire car nos plus belles années ne sont pas derrière nous, mais sont celles qui nous restent à vivre.

Alors courage messieurs faites vous aider.

David (prénom d’emprunt)